"La plume est la langue de la pensée"
Miguel de Cervantes Saavedra

27/06/2008

Cartes mexicaines - Poly juin 2007

La maman et la putain

COUP DE GRÂCE VIOLÉE Étranglée transpercée d’une balle Non identifiée Fée marraine Fée Traîtres aux carrefours présomptueux Brûlée Amour Bâillonnée Attachée La tête recouverte d’un sac plastique Des yeux pour les fées Sourire de communicateurs transis dans la poche des puissants. Violée Poignardée Souillée
A moitié nue Glorification de l’horreur Étranglée Fée Fée Frappée NON IDENTIFIÉE
(1)

A Ciudad Juarez dans l’Etat de Chihuahua, depuis 1993, plus de 400 femmes ont été torturées, violées puis sauvagement assassinées. Le nombre des disparues s’élève à plus de 600! Malgré la mobilisation nationale et internationale, les gouvernements de l’Etat et du Mexique ne semblent toujours pas pressés d’élucider les meurtres. Il y a quelques années un politicien n’hésitait pas à fustiger les tenues indécentes des victimes.
Elles avaient entre 12 et 29 ans. Elles étaient pour la plupart ouvrières dans les nombreuses maquiladoras. Ces usines de production, attirant une main-d’œuvre aussi inépuisable que les profits des transnationales, ont fait de la ville l’une des plus peuplées
du pays. Située à la frontière avec les USA, Ciudad Juarez est un pont entre deux mondes.
Il y a dans le sort des femmes de Juarez un peu de la malédiction de
La Malinche. A l’arrivée d’Hernán Cortés en 1519, cette jeune indienne fut, avec 19 autres jeunes filles, offerte aux conquistadors. Baptisée Marina, elle parlait le nahuatl (2) et le maya (3) et devint vite l’interprète de Cortés… et sa maîtresse. Elle lui donna un fils illégitime, Martín. Les connaissances de Doña Marina facilitèrent la conquête de la Nouvelle Espagne, mais une fois Tenochtitlan (4) soumise, Cortés la délaissa.
Le mythe véhicule l'opinion contradictoire du peuple mexicain sur la condition de la femme. Pour certains La Malinche est la mère du Mexique métis. Mais dans la langue populaire elle est la victime consentante, celle qui a vendu son pays et son corps.
Une autre figure féminine de l’imaginaire mexicain peuple la frontière de deux mondes. Celle de La Llorona, ce spectre de femme qui hante les nuits mexicaines de ses cris déchirants. Dans la légende d’origine indigène, La Llorona était la déesse Cihuacóatl professant la fin de l’Empire Aztèque et pleurant la mort de ses enfants. Une autre interprétation y décèle l’esprit de La Malinche, condamnée aux larmes éternelles pour avoir livré son peuple à Cortés.
De la conquête espagnole à l’esclavage industriel, demeure cette culpabilisation de la femme. La mère de tous les maux, la catin vendue à l’étranger. Pourtant de Chihuahua au Chiapas des femmes se lèvent pour leurs droits. Pour effacer ces images qui parfois peuvent tuer… des salles d’avortement clandestin aux ruelles sombres de la cité des mortes. Ecoutez ! des pleurs résonnent encore cette nuit. Ce sont les larmes de Juarez.

Photos: Hélène Michoux


(1) : Extrait de DES YEUX POUR LES FÉES de Juan Pablo de Avíla, sorti en 2003. Le poème fait référence aux meurtres de Ciudad Juarez.
(2) : Langue officielle de l’empire Aztèque jusqu’à sa chute en 1521
(3) : Les mayas occupent le sud du Mexique et le Guatemala.
(4) : Nom de la capitale Aztèque, devenue Mexico.

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